· cut from marble, smoother than a storm.

Elle n’arrive pas à dormir. Pourtant, elle est crevée, après une soirée qui s’est éternisée au bar, elle est rentrée à une heure particulièrement indécente. Elle pensait s’endormir rapidement, et rester dans les bras de Morphée au moins jusqu’à midi, mais c’était sans compter sur ce traître de cerveau qui a décidé de lui jouer des tours. Elle a à peine réussi à somnoler quelques heures, d’un sommeil beaucoup trop agité pour être réparateur. Mais depuis que le soleil a pointé le bout de son nez, incapable pour elle de refermer l’œil. Elle a bien essayé pourtant, de s’enfouir sous la couette, de se mettre dans le noir le plus complet pour replonger au pays des rêves, mais c’est un échec cuisant. Même les ronronnements de son chat adoré couché près de sa tête n’ont pas réussi à la bercer. Erinn lâche alors un soupir d’exaspération alors qu’elle se redresse dans son lit, les neurones encore incapables de se connecter comme il se doit. « La journée va être longue, Batman… » Elle passe sa main dans la fourrure du félin, qui lui semble complètement ignorant de tout ces problèmes d’insomnies. A regret, elle quitte le confort des draps en jetant un œil à son réveil. 7h30. Beaucoup trop tôt. Elle enfile un jean, un énorme pull en laine avant d’attraper ses clés. Elle prendra le temps de déjeuner plus tard, pour l’instant, elle a besoin de se vider la tête, d’anesthésier son cerveau qui tourne beaucoup trop depuis qu’elle a eu le malheur de ramener le Middelton sur son vélo. Et depuis qu’elle a revu Charlie. Elle ne sait pas encore quoi faire de ces retrouvailles incongrues, espère juste qu’elles n’en entraîneront pas d’autre, que le reste de sa famille n’apprendra pas qu’elle se trouve ici. Surtout sa sœur. Si elle venait à la croiser, elle, elle ne sait pas ce qu’elle serait capable de faire. Elle quitte son studio, gagne la plage en quelques minutes. Le bruit des vagues l’apaise instantanément, et dès que ses pieds entrent en contact avec le sable, elle sent son esprit qui se calme, le vide qui s’installe en elle, salvateur. Et elle doit avouer que c’est plutôt agréable de voir la plage quasi vide, de pouvoir profiter de cet instant alors que le monde s’éveille doucement. Mais elle est tirée de son moment de paix par l’arrivée d’une autre promeneuse matinale. Erinn se contente de lui rendre son sourire, prête à continuer sa route en silence, quand l’autre la salue. Elle s’arrête, observe le visage un peu plus en détail, cherche à savoir si elle l’a déjà vu quelque part, mais c’est le néant. « Euh, bonjour ? On se connaît ? »

L’inconnue semble légèrement mal à l’aise alors qu’elle s’approche, et Erinn la jauge, se demande comment l’autre peut la connaître, ce qui l’aurait poussé à l’aborder. Ca la rassure de savoir qu’elle n’est pas censé la connaître, déjà, même si cette histoire de suivie lui pose question. Elle ne comprend pas tout de suite, avant que le mot ne finisse par sortir. Danseuse. Elle l’avait donc reconnu de par sa carrière arrêtée en plein vol. Erinn sent une chape de plomb s’écraser sur elle, ses muscles qui se crispent un à un alors qu’elle se referme comme une huître, le sourire vite envolé de ses lèvres. Elle essaie de rester civilisée, de ne pas envoyer cette pauvre inconnue qui n’a rien demandé sur les roses. Surtout qu’à voir son expression, ce mais qui reste en suspens, elle en déduit que sa carrière de danseuse à elle aussi, s’est arrêtée. Elle reste silencieuse, ne sait pas trop quoi dire face à cette jeune femme qui lui ramène son accident en pleine face, sans qu’elle ne s’y attende, qui ravive cette douleur qu’elle avait plus ou moins enterrée depuis son arrivée ici. Elle reste coite devant l’admiration que semble lui porter l’inconnue, sa carrière tellement loin derrière elle qu’elle avait l’impression qu’elle en avait presque oublié son existence. Elle se laisse gagner par le rire nerveux de la demoiselle alors qu’elle essaie de faire du tri dans son cerveau. « Oh non, ça ne me blesse pas, je suis juste… surprise ? Il y a pas grand-chose à admirer, vraiment… Mais merci. Ca faisait longtemps que je n’avais pas croisé quelqu’un qui sait pour… » Sa carrière ? L’accident ? La fin de la vie dont elle avait toujours rêvé ? Depuis son arrivée à Carmel, elle avait tout fait pour être la plus discrète possible, rester sous le radar, ne serait-ce que pour que la nouvelle de son déménagement ne circule pas, n’arrive pas aux oreilles de ceux qu’elle avait laissé derrière elle. L’anonymat lui avait fait le plus grand bien dans sa quête de reconstruction, et ça lui allait bien de ne pas être reconnue, interpellée à tous les coins de rues. « Patinage, hein ? Mais j’ai l’impression que ce n’est plus d’actualité, je me trompe ?... » Elle n’ose pas spécialement pousser plus loin alors que son regard scrute celui de la jeune femme, ne voulant pas se montrer indiscrète. Elle-même ne supportait pas lorsque l’on évoquait son accident, qu’on lui posait des questions, alors elle n’irait jamais plus loin que ce que l’autre voudrait bien lui dire.

Tout arrêter. Du jour au lendemain. « Je connais ça… » Un murmure, plus pour elle-même que pour la blonde qui se tient devant elle. Si Erinn n’était pas tombée, n’avait pas l’objet d’une mauvaise chute, elle n’en est pas moins familière avec ce que la jeune femme est en train de lui raconter. La différence, c’est qu’elle peut se permettre de rejeter la faute sur quelqu’un d’autre. Si elle avait chuté, fait un faux mouvement, et que l’entièreté de la faute serait retombée sur ses épaules, elle se serait probablement tiré une balle. Elle n’aurait jamais pu supporter sa propre faiblesse si elle avait foutu sa propre carrière en l’air. Elle lui offre un sourire désolé alors qu’elle mentionne l’incapacité de remettre un pied sur la glace. « Je comprends. Je suis un incapable d’approcher un studio de danse alors… » Rien que l’idée de faire un pas de danse lui donnait des sueurs froides. Elle n’atteindrait plus jamais le niveau qu’elle avait à l’époque, et le vivrait comme un échec cuisant de se retrouver face à ses capacités amoindries. C’est pour ça qu’elle a complètement abandonné la danse, préférant se souvenir d’elle à son somment plutôt que de se rappeler qu’elle ne serait plus jamais aussi douée et que sa carrière était belle et bien derrière elle. La jeune femme mentionne l’accident, alors qu’elle semble tout aussi mal à l’aise qu’elle. Erinn aimerait pouvoir fuir cette conversation qui remue bien trop le couteau dans la plaie à son goût, mais elle n’est pas du genre méchant, et il y a quelque chose chez la blonde, probablement ce traumatisme commun de voir sa carrière partir en fumée, qui vient réveiller un sursaut de compassion, un semblant de douceur qui vient calmer ses pulsions parfois un peu trop agressives. « Il y a deux ans, oui… C’est comme ça que j’ai atterri ici, d’ailleurs. J’avais besoin de… changer d’air ? » De s’éloigner de sa sœur, surtout, de son ex aussi, de sa famille et de leur regard de pitié qu’elle ne supportait pas. Comme si elle était une biche blessée au bord de la route, pour qui on ne peut plus rien. Autant l’abattre. C’était ça, qu’elle ressentait quand ils la regardaient, et c’était trop dur pour elle et son caractère un peu trop bien trempé. Alors elle avait fui, loin, sans prévenir. Et étonnamment, elle ne le regrette pas tant que ça. Elle en veut encore beaucoup trop à Adel pour qu’elle lui manque réellement, lui en voudra probablement toute sa vie. Et sans sa rencontre imprévue avec Charlie, qui l’avait mis en face de la violence que son départ avait pu avoir sur lui, elle ne se serait jamais posée la question de ce que les autres avaient pu ressentir, bien trop aveuglé par sa propre peine. La blonde se balance d’un pied sur l’autre, et ça lui arracherait presqu’un sourire. La question aux allures banales, qu’elle pourrait balayer d’un simple oui et vous, mais elle se retient. « On va dire que ça pourrait être pire ? Mais ça dépend des jours… enfin, j’imagine que tu vois ce que je veux dire. » Le tutoiement qui lui vient facilement devant celle qui semble plus jeune qu’elle, et dont elle ignore encore le prénom. « Au fait, tu t’appelles comment ? »