La ballade de Jim (Amadëa & Shane)

La ballade de JimAmadëa & Shane

« Jimmy les filles pour le cœur comme l'alcool et les revolvers. C'est sauter en l'air, tomber par terre. Boum.» •••

Soleil éclatant sur les côtes de la Californie. Le vieux pick-up après avoir parcouru les routes en lacet du littoral ne tarda pas à bifurquer vers les collines habitées de Carmel-by-the-sea. Comme suspendue à un balcon, la ville semblait contempler le Pacifique qui ondulait placidement sur fond de ciel bleu. Chambre avec vue sur le plus beau panorama de la terre. Carmel sommeillait tel un félin sous le regard bienveillant d'un monde qui se croyait déjà rendu en été. Au volant, Shane fixait la route sans la voir, manœuvrant avec une aisance naturelle à travers une bourgade qui n'avait plus de secret pour lui. Il sifflotait un air pop à la mode que la vieille radio sur le tableau de bord lui jouait en crachotant. C'était une belle journée pour filer à l'anglaise. Plier bagage et disparaître sans laisser de trace. Prendre la clé des champs sans la moindre idée de la route à emprunter. Juste suivre le bitume pour voir où ça nous mène. Mais une fois n'était pas coutume, il avait pris des engagements de jour là et il n'était pas question de prendre la fuite. Plus tard peut-être. Quand il se serait acquitté de la tâche que, bon garçon, il s'était porté volontaire pour accomplir. Lorsque Mrs Moretti l'avait appelé la veille pour lui demander s'il aurait la gentillesse de lui rendre un service, il n'avait pas su dire non. En fait de service, la commode en pièces détachées qui l'attendait chez un antiquaire de Monterey lui avait arraché un soupir discret. Charger le meuble à l'arrière du pick-up n'avait pas été une partie de plaisir. Fallait-il qu'il ait de l'affection pour la vieille dame pour céder à l'une de ses dernières lubies en date.

Tout le monde connaissait Domenica Moretti en ville. Sous ses airs de grand-mère et ses petits sourires, vous lui auriez donné le bon dieu sans confession et vous ne pouviez rien lui refuser. Avec l'habitude, Shane commençait à se méfier. Les gens n'étaient pas forcément ce qu'ils vous montraient. Lui-même ne jouait-il pas de son image de gentil garçon ? Quoique qu'à voir les regards qu'elle lui lançait parfois, il se doutait que le charme ne devait pas beaucoup faire illusion avec elle. Pour s'être retrouvé à plusieurs reprise la cible de situations improbables, il commençait à se demander si son apparente innocence ne cachait pas autre chose. Mais la vieille dame qui l'avait vu grandir était un pilier de son enfance et il se faisait toujours un devoir de garder un œil sur elle et de passer lui rendre visite quand il le pouvait. En conclusion, elle l'avait à sa botte.

Le gravier de l'allée grinça sous ses roues lorsqu'il s'engagea dans l'entrée, signalant son arrivée à tout le voisinage. Dans le quartier, les maisons s'alignaient comme autant de sentinelles, chacune derrière son petit jardin envahi par la végétation, témoins de plusieurs décennies d'entretien. Toit plat en tuile, ornières grimpant le long des murs, stores en bois, on n'avait pas à beaucoup se concentrer pour se sentir projeté dans le passé. Carmel cultivait cette étrange atmosphère un brin désuète, comme si elle ne pouvait pas s'empêcher de jeter des coups d'oeil par dessus son épaule à la recherche d'un passé qu'elle avait du mal à laisser derrière elle. Il avait parfois l'étrange impression en rentrant en ville d'être coincé dans une bulle temporelle, à une époque qui n'était pas la sienne. On vous tolérait mais vous sentiez bien que vous n'étiez pas exactement d'ici.

Il y avait déjà une voiture dans l'allée et il haussa un sourcil surpris, se pensant seul ce matin là. Mais Ms Moretti avait peut-être prévu autre chose, il n'était pas dans ses petits papiers à ce point. Et il doutait que qui que se soit de mal intentionné choisisse d'opérer en plein jour à la vue de tous. Partout à travers la planète existait comme une règle tacite statuant que vous n'étiez jamais vraiment seul dans ces petits quartiers résidentiels. Malgré les murs et les volets, c'était comme si vous partagiez votre vie avec celle de tous vos voisins réunis. Les gens semblaient posséder un sixième sens et le don inné de connaître votre emploi du temps presque aussi bien que vous. La moustiquaire était entrouverte sur un porche où oscillait paresseusement une balancelle, des tasses avaient été abandonnées sur la table en rotin et sur une coupelle trônaient les restes d'un cookie à demi grignoté. De toute évidence quelqu'un était venu.

« Mrs Moretti ? » lança-t-il en tendant la tête dans le vestibule sans y entrer

Le silence lui répondit. Les stores étaient baissés à l'intérieur pour protéger la maison des chaleurs d'une journée qui s'annonçait lourde, plongeant le couloir dans une ambiance feutrée. Plus loin à l'intérieur, un escalier grinça. Quelqu'un venait.
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