j'oublie ta voix qui résonne (denitza)

jour funeste. le palpitant douloureux, caché au fond de ta poitrine, tes doigts tournent lentement la poignée de la porte. une seule pensée a tourmenter ton esprit aujourd'hui, pesante, te rappelant que le temps qui passe n'efface pas la douleur mais laisse des cicatrices. tu dois apprendre à vivre avec ta tristesse, faire ton deuil. tu te mords la joue, refoule tes larmes (encore), car tu sais que le plus dur reste à venir. être confronter à ta propre souffrance est une chose, à celle de ton amie en est une autre. et c'est bien plus difficile. tu peux te bercer d'illusions autant que tu le souhaites si ça te chante, mais tu ne peux pas mentir à jaz. tu ne peux pas lui promettre que ça ira mieux. qu'elle ira mieux, car tu n'es ni maîtresse de son coeur, ni maîtresse du temps. seulement une épaule sur laquelle se reposer. « jaz... » tu la repères poster dans la cuisine, le myocarde qui se serre davantage à sa vue. tu savais que tu la trouverais là, à lutter contre un tourbillon d'émotions et une salve puissante de souvenirs ravageurs. tu sais car tu à toi aussi des images te reviennent en tête, des moments de joie éphémères immortalisés dans ta mémoire. ils sont beaucoup depuis ce matin mais c'est une constante depuis le début du mois. tu t'approches doucement vers ton amie pose une main sur son épaule et de l'autre écarte tendrement ses longs cheveux noirs. « je suis là. » que tu lui souffles pendant que tu l'étreins entre tes bras, comme pour lui signifier qu'elle n'est plus seule pour affronter son chagrin. « tu as le droit de pleurer, tu sais. pleurer ça fait du bien... » un conseil que tu pourrais très bien appliquer à toi-même pour commencer. mais toi, c'est pas pareil. toi, tu t'oublies volontiers pour les autres. et pour être une oreille attentive aux peines, tu dois faire taire ton propre ouragan intérieur. tu le fais avec plaisir et naturellement, sans te poser de questions. tu l'as toujours un peu fais et depuis que pedro est parti, c'est ton rôle plus que jamais de faire office de pilier. pour les autres. pour ta famille. pour jaz.

l'injustice frappe les braves car le monde ne tourne pas rond. pedro faisait parti de ces gens-là; âme lumineuse. il est parti bien trop tôt, il avait encore tant de choses à vivre. ton coeur s'émiette au souvenir du maudit jour de ses funérailles. tant de regards tristes, de visages baissés... tout le monde aimait ton aîné, il n'avait pas d'ennemis. c'était un homme sociable et gentil, un homme bien. mais le destin, cruel, vous l'a brutalement arraché comme si il avait osé commettre l'impardonnable. tu sais que c'est impossible. il n'y a pas la moindre excuse pour justifier sa mort. pourquoi lui et pas un autre. c'était un homme irréprochable. et doux comme pas deux. il avait toujours le bon mot, toujours le bon geste. tu aimerais être capable, à son image, de faire preuve de justesse dans tes actes mais tout ce que tu entreprends de faire aujourd'hui te semble terriblement maladroit. le chagrin agit comme une anesthésie sur toi. tu n'es capable de rien. à l'hôpital déjà, tu étais à côté de la plaque toute la journée et tu crains de ne pas faire mieux au près de jaz. après tout, comment peut-tu espérer réconforter ta belle-soeur alors que ton propre coeur ne s'est pas remi de la perte de ton frère; son mari ? tu as le coeur lourd mais l'âme solidaire. tu as ce besoin de l'épauler et de l'écouter pleurer pour deux s'il le faut. « non tu as raison. » tu sais qu'il ne reviendra pas de l'au-delà et ceux qui tentent de ranimer les disparus sont les proies aveugles de la folie. existe t-il d'ailleurs encore des gens pour croire à ce miracle qui n'en ait pas un ? mais ça te fait toujours aussi de mal de réaliser que tu ne le verras plus jamais. c'est comme si tu revivais encore et encore le jour où tu as appris qu'il était parti pour de bon, que plus jamais il ne te prendrait sans des bras ni te ferait de mini-jeux de piste pour ton anniversaire. ce jour là, c'est une partie de ton monde qui s'est effondré. « je sais... » tu murmures. tu partages sa pensée même si tu ne devrais pas. point de vue professionnel, tu ne devrais pas préférer une personne à autre. tu devrais être impartiale. oui mais voilà, toi tu n'es pas parfaite. « oh, jaz... ce sont des choses qui arrivent... » non, c'est faux. ça ne lui arrive pas à elle, d'habitude. « accorde-toi la journée pour toi, tu reprendras le travail demain. avec un esprit torturé, c'est difficile de faire les choses correctement. » tu es bien placé pour le savoir.

les humains ne sont pas infaillibles, sinon les choses (la vie) ne seraient pas ce qu'elles sont. sinon jaz n'aurait pas casser une tige entre ses doigts, elle qui est pourtant si précautionneuse d'habitude. tu cherches à la rassurer mais tes mots sont maladroits; parce que toi-même tu ne crois pas à ce que tu racontes et ce, malgré ta volonté de bien faire. la vérité, c'est que tu ne veux pas réaliser mais l'erreur est humaine. les sentiments, aussi. ta belle-soeur n'est pas un robot, pas plus que toi. t'as probablement fait ton lot de ratés aussi aujourd'hui mais t'as bien été incapable de les identifier clairement, aveuglée par cet idéal de perfection qui ne tient pas en compte la réalité de la vie et du destin. pourtant, amère, tu t'en doutes. et tu te rends compte que tu n'as pas eu la bonne attitude. tes supérieurs l'ont probablement remarqué et demain tu devras leur faire tes plus plates excuse. « je suis surtout bien placée pour savoir que si on n'est pas capable de faire quelque chose, il vaut mieux ne pas le faire. » c'est la leçon que tu retiens d'aujourd'hui. heureusement que tu n'avais pas de grandes responsabilités sur le dos car si elles avaient été autres, tu aurais pu commettre des erreurs irréparables. il y a des ratés en médecine qui ne pardonnent pas. « ce que je veux dire, c'est qu'il est nécessaire de prendre du recul sur certaines situations et de faire des choix pas forcément évident à accepter. un peu comme un mal pour un bien. » le genre de choses pas évidentes à faire, toi aussi tu vas devoir apprendre et mettre ta fierté de côté. c'est triste cette histoire de tige cassée mais peut-être que c'était inévitable. c'est la faute de ce jour. la faute à ce qui est arrivé. tu as si mal au coeur, denitza. « je suis pas sûre que ce soit une bonne idée. » ces mots t'arrachent les lèvres. tu ne voulais pas les dire mais t'as l'impression que c'est mieux comme ça. « pas ce soir... » aller au restaurant et se mêler aux gens qui sourient, sourire à ton tour. grotesque comédie. tu ne veux pas te forcer à sourire, à faire comme si tout allait bien. « je penche plus pour des glaces, le chocolat et un film qui fait pleurer. » le remède contre toutes les peines, en somme. « le tout blotties sous un plaid. » parce que t'as pas envie de faire semblant de sourire, de rire et de passer une bonne soirée. tu as juste envie de pleurer à chaudes larmes sans avoir à te soucier des regards des autres, tu veux juste pouvoir pleurer et être malheureuse sans qu'on te pose de questions.