ain't nothing but a mistake // clare

S’échapper. Sa ville natale, ouverte sur l’océan, lui pesait déjà. Deux semaines en ville, et elle n’avait déjà qu’une idée - s’en aller. Chaque pavé lui rappelait un souvenir d’enfance. Chaque visage connu la ramenait à son propre échec. Elle n’avait jamais été casanière, mais là, c’était un cas de force majeure : elle ne pouvait pas sortir encore, croiser ces regards qu’elle n’aurait jamais pu croiser. Elle le savait, la vie lui avait épargné bien des affronts. Une famille aisée, pas forcément aimante mais présente, un talent inné, qui faisait d’elle une princesse vêtue de grâce, et puis la gloire qui vous borde de son halo doré. Alors quand tout s'arrête, du jour au lendemain, c'est la douche froide.

Carmel l’oppressante. Il faut le voir pour le croire. Pour une ville ouverte sur l’océan, elle peut vraiment donner l’impression d’un poids dans la poitrine pour quiconque la hait. Alors, Neva, elle a fait ce qu’elle avait de mieux à faire, ce qu’elle savait faire le mieux aussi : elle a fuit.

Pas de grands drames, cette fois. Juste elle et sa voiture, une espèce de taudis qu’elle avait acheté une misère dès son arrivée pour pouvoir se déplacer librement. Ne plus dépendre de personne.

clare & neva

ain't nothing but a heartache, ain't nothing but a mistake

Elle avait pas mal tourné, toute la journée. Errant sans but, loin de Carmel, mais sans que ce poids dans sa poitrine ne s'en aille. Quand on dédie sa vie entière à une seule et unique chose, et qu'on nous l'enlève, plus rien n'a de sens. Un seul être vous manque et tout est dépeuplé, dit-on chez les poètes français. On enlève la danse à Neva et plus rien ne fait sens. Où est l'exutoire qui lui permet de conserver la santé maintenant, si ce n'est un souvenir encore proche et déjà lointain ?

C'est à force de laisser son esprit vagabonder que ses yeux s'étaient posés sur l'affiche en face d'elle. Démonstration de patinage. Elle le comprenait, ce besoin de se dépasser, ce besoin de rechercher l'excellence, d'aller au delà de ce que son corps peut faire. Elle le comprenait, mais de là se jeter à 80 km/h sur la glace, il y avait un monde. "Oh et puis, ça m'occupera."

L'ambiance d'une patinoire n'est pas celle d'un théâtre. Il fait froid, déjà. Les lumières sont blanches, presque agressives, pour qui n'en a pas l'habitude. Mais la patinoire est remplie. Même en Californie, la grâce et le folie des patineurs et des patineuses amasse les foules. Le silence se fait. Et elle les voit. Ils sont deux, deux petits blonds, la vingtaine à peine entamée. Ils sont concentrés. Et puis la musique transperce l'air et le silence se fait. Ce son, elle le reconnait entre mille. La scène finale du Lac des Cygnes, un morceau lancinant de douleur. Elle sent les larmes lui monter aux yeux, sa poitrine se serrer, encore. Ils s'élancent, dieu qu'ils sont gracieux. Elle virevolte dans les airs, lui la rattrape au vol. Ils ont l'air de flotter. Neva est fascinée, elle ne les lâche pas des yeux, retient sa respiration quand elle est dans les airs. Les secondes s'égrènent comme des minutes, et enfin, le temps s'arrête pour Neva : l'espace d'un instant, la paix l'envahit, le calme aussi, enfin.

Ce sont les applaudissements de la foule qui la tire de ce doux moments. Les deux acrobates de la glace sont essoufflés, tout sourire. Les numéros s'enchaînent, tous sublimes, mais aucun n'attrapant son coeur comme ces deux cygnes-là l'ont fait.

Et puis, abruptement, c'est terminé. Pas de grand cérémonial, comme dans ses théâtre. Juste, la fin. Les gens se lèvent. Elle les suit.

Il règne dans le grand hall une effervescence qu'elle connaît. Il y a cette frontière, invisible, mais si palpable, entre ces jeunes artistes, encore en costume, les joues rosées par la jeunesse et l'effort, et le reste du monde. C'est la première fois qu'elle fait partie du reste du monde. Elle se sent toute petite, même si elle a sans doute l'âge d'être la mère de certains. Et elle le voit. Le cygne blond. Il y a quelque chose de charismatique dans son regard, et de doux aussi. Elle le fixe, presque en transe, attendant désespérément qu'il lève les yeux vers elle, ce qui justifiera pour Neva d'aller lui parler. Ce qu'il finit par faire.

Alors, elle s'approche. Il discute déjà, mais elle a l'impression de le connaître, comme si leurs expériences d'artistes les liaient, d'une certaine façon. Mais lui ne la connaît pas. Elle ne l'a pas, à cet instant, l'aura de l'artiste. Elle pourrait tout aussi bien passer pour une folle. Mais elle pose sa main sur son avant-bras, coupant court à sa conversation. "Bonjour, je vous dérange, je suis désolée, mais vous avez été à couper le souffle, sur la glace. Vous dégagez quelque chose de... Lunaire, lointain." Sous les néons des projecteurs, retour à la réalité. Elle n'est pas dans son esprit virevoltant de ballet et d'art. Elle est dans le hall d'entrée d'une patinoire, et elle vient d'interrompre un parfait inconnu dans sa discussion. Elle retire sa main de son bras, comme si elle venait de se réveiller. "Pardon, bravo pour... aujourd'hui. Merci." Elle se retourne, mortifiée. Prête à prendre ses jambes à son cou.

franchement déso pour cette fin sortie de nulle part:

les sabres polis glissent sur le blanc de la glace laissant des sillons éternels, duo qui évolue comme toujours main dans la main, partenaire lancée dans les airs, rattrapée dans une grâce insoupçonnée, insoupçonnable, main qui vient se caler dans le creux des reins de la brune, courbe qu'il connaît par coeur après cinq ans. prestation terminée dans un sourire radieux, souffle haletant après un effort d'un peu moins de dix minutes, enfants ravis de leur prouesse technique à nouveau relevée, comme toujours. démonstration aujourd'hui donnée, clare qui participe comme à chaque fois, il n'a jamais loupé cette journée sauf l'année de l'accident. cette occasion de se montrer, de donner envie, d'impressionner de potentiels sponsors. alors si pour les spectateurs elle semble anodine, cette journée est en réalité capitale et d'un enjeu important. derniers à passer, champions qui viennent comme à leur habitude clôturer le spectacle, le public se lève alors que les deux partenaires patinent jusqu'à atteindre le bord de la glace, baskets enfilées après avoir bu une moitié de bouteille d'eau, fatigué par sa prestation. pourtant, c'était la partie facile. parce qu'après, il faut aller se confronter à la foule, eux deux contre une centaine d'âmes. il fait bonne figure clare mais il ne rêve que de partir, voler loin de toutes les questions qui tomberont sur les deux champions à peine auront-ils franchi les portes du hall bondé. parce que c'est toujours comme ça, lui qui n'est pas vraiment doué pour la partie sociale, il laisse bien souvent daisy s'en occuper, figurant alors qu'il est la pièce maîtresse de la glace. roi qui s'incline face à la reine dans certaines situations. discussion lancée sur leur parcours atypique, eux qui ne sont devenus partenaires qu'à l'aube de leurs seize ans, lui qui aurait dû participer aux jeux olympiques avec vittoria, rêve volé qui est repoussé à l'année suivante. qualification annoncée il y a seulement quelques jours, les félicitations sont de concours. il sent une légère pression sur son bras et s'interrompt dans son discours, découvrant une jolie brune, plus petite que lui, un sourire timide sur les lèvres. sa voix flotte dans l'air à toute vitesse, et avant même que le garçon n'ait pu répondre elle tourne déjà les talons. rapidement le garçon s'excuse auprès de ses interlocuteurs et la rattrape alors qu'elle avait déjà fait quelques pas, main qui vient se loger sur son épaule. « excuse-moi je suis un peu fatigué par tout ça, mon cerveau met un peu de temps à capter les informations » rire nerveux, conscient qu'il passe sûrement pour un idiot, il vient passer sa main dans sa nuque. « mais merci pour le compliment, ça me fait chaud au coeur » sourire radieux qu'il lui lance, soleil qui se reflète dans ses lèvres en plus de ses joues constellées de tâches. « tu es du milieu non ? tu as une façon de parler différente de tous ceux ici » pour accompagner ses paroles, son bras gauche vient distraitement montrer la foule qui les entoure.

quand il la voit sourire de la sorte, clare il ne peut pas s'empêcher de sourire à son tour, son coeur qui se réchauffe face à la brune. et même s'il ne la connaît pas, il sent une sorte de connexion indéniable entre eux deux. mais quand elle lui dit qu'elle était danseuse, il comprend clare. que c'est ce lien que les âmes artistiques partagent entre elles, lien unique qui ne s'étiole que rarement, éternel à la manière que leur art l'est, différences aux similarités percutantes. pourtant, quand il l'écoute employer le passé, il ne peut s'empêcher d'être peiné. comme vittoria. et s'il ne sait pas qu'elles sont les raisons qui ont pu pousser la brune à arrêter, il n'a jamais cessé de se sentir pour l'arrêt forcé de sa partenaire. « que ce soit sur du parquet ou sur de glace, je pense qu'on peut s'entendre pour dire que c'est le plus bel art qui puisse exister » un sourire sur les lèvres, le blond lui adresse un clin d'oeil. la curiosité s'empare de son être lorsqu'il la voit tendre sa main dans sa direction, attendant patiemment ses paroles. et lorsqu'il l'écoute, un nouveau sourire s'imprime sur les lippes rosées du garçon. à son tour, il tend la main, saisissant celle de la brune, douce comme il aurait pu l'imaginer. « clarence baxter, mais tout le monde m'appelle clare » le contact entre leurs paumes est bref mais suffisant pour qu'une forme de pacte soit scellé entre eux de façon tacite, quelque chose de plus grand qu'eux, un lien qui ne saurait être brisé. « je n'attendais que ça » qu'il glisse face à sa proposition. le blond se saisit de nouveau de la main de la brune, sans penser une seule seconde que c'est celle de daisy qu'il devrait tenir, qu'il devrait être à ses côtés, à la recherche de nouveaux sponsors qui les aideraient à toucher la gloire aux prochains jeux olympiques. mais qu'importe. le garçon fend la foule, déplaçant les gens selon son bon gré, un sourire pour toute excuse qu'on lui accorde, star de la journée, jeune prodige qui brille depuis bientôt quinze ans sur la glace. et quand ils sont enfin dehors, il respire un grand coup clare. un léger rire lui échappe tandis qu'il lâche finalement la main de neva, étreinte qui n'était nullement romantique. elle est jolie, il ne peut le nier. mais il sent que c'est plus que ça. il l'entraîne quelques mètres plus loin, sur le côté de la patinoire, là où ils ne seront pas dérangés par d'innombrables curieux. « alors neva dis moi. qu'est-ce qui amène une danseuse ici, à regarder des patineurs artistiques ? » un sourire joueur fend son visage, heureux de son métier qui est tout d'abord une passion, fier de pouvoir l'exercer depuis tout ce temps même si les raisons premières ne sont pas les bonnes.

gamin bien trop heureux de s'échapper à la réalité, aux caméras qu'il n'apprécie pas. pourtant, il devrait s'y être habitué depuis le début de sa carrière. pourtant, force est de constater qu'il n'a jamais su vraiment les apprivoiser, ni être à l'aise devant un objectif. parce qu'il fait ça pour la glace, l'amour de l'art et l'envie de créer quelque chose de beau, de sublime, de divin. et il a rapidement accepté le revers de la médaille, les interview à la fin de chaque prestation ou presque, l'envie de connaître tous les secrets qu'il y a à savoir sur le duo qui danse brillamment sur la glace. mais ce rôle là est toujours tombé dans les mains de sa partenaire, qu'il s'agisse de vittoria ou de daisy. parce qu'il n'aime pas ça, et clare il danse parce qu'il aime ça. pas parce qu'il a envie d'obtenir une soi-disant notoriété bidon, il veut juste pouvoir participer aux jeux olympiques. mais ils sont bien parti, avec daisy. alors il pardonne toutes ses crises et colères, parce qu'ensemble ils y arriveront. ils arriveront à se qualifier. alors toute opportunité de fuir est la bonne, qu'importe ce que pourra dire sa partenaire la prochaine fois qu'il aura le malheur de se trouver sur son chemin - parce qu'elle l'écoute déjà hurler. elle est la tempête et lui les nuages. ç'a toujours été comme ça, et ça le sera sûrement toujours. alors il est habitué depuis tout ce temps passé ensemble et il en vient à s'en moquer, presque - mais ça, il ne le dit pas à alves. alors une petite sortie du complexe sportif avec cette danseuse ne semble être rien d'autre qu'une aubaine, un cadeau des dieux, l'échappatoire rêvé. pouvoir s'échapper des caméras, s'extirper de l'attention générale et parler de ce qu'il aime. pourtant, il est curieux de savoir ce qui l'amène ici. elle qui a dansé sur des planches toute sa vie, bien loin de la glace qui est devenue une coutume chez clarence. alors quand elle lui dit que sa colocataire était patineuse elle aussi, un sourire s'affiche sur les lèvres du brun. « oh vraiment ? » qu'il demande d'abord. parce qu'ils se connaissent un peu tous, en californie. ils ne sont pas des centaines à briller en duo, clare et daisy en tête de liste. « elle ne patine plus ? » finit-il par ajouter, une moue triste sur le visage. parce que cela semble inenvisageable pour lui. qu'importe qu'il se blesse, il ne saurait quoi faire de sa vie s'il n'avait pas le patinage. seul domaine où il est bon, vraiment bon, le reste n'est qu'un talent commun. non, le patinage c'est son talent, perle rare parmi les médiocres, il a tout de suite excellé clarence. domaine choisi un peu au hasard pour ne pas suivre les pas de ses parents, gymnastique et natation. eux deux qui ne lui permettraient pas de s'arrêter même s'il avait une jambe coupée.

quand elle prononce le nom de vittoria il a l'impression qu'il va s'écrouler, clare. la tête qui tourne et le coeur qui bondit dans sa poitrine, un fourmillement massif qui le saisit. elle est de retour. parce que c'est ce que ça veut dire, elle est revenue à carmel après tout ce temps. cinq ans sans la voir, torture qui semble avoir duré des millénaires malgré le peu de temps séparés. « elle est à carmel ? » ses sourcils se froncent alors que les mots sortent de sa bouche, presque inaudibles. tout se bouscule dans sa tête, pas certain de savoir quoi faire de cette information. débarquer chez elle et tambouriner à la porte ? non. pas sûr que ce soit une bonne idée. prier pour tomber sur elle ? c'est déjà mieux. après tout la ville n'est pas si grande que ça et les nouvelles voyagent rapidement entre le peu d'habitants qui résident ici à l'année. puis il se dit qu'elle a dû l'insulter de tous les noms, lui qui est responsable de la fin de sa carrière brillante après six ans tous les deux. il doit avoir une bien mauvaise réputation auprès de la danseuse. un sourire amer éclate sur ses lèvres lorsqu'elle lui avoue le connaître un peu - sûrement par des noms d'oiseaux chacun plus inventifs les uns que les autres. pourtant, le fait qu'elle lui tende son petit doigt en signe de promesse le fait sourire doucement. la promesse d'une relation neuve, pas basée sur des on dit de tierces personnes. alors avec un sourire lumineux clare il joint son petit doigt au sien comme s'ils étaient deux enfants dans la cour de récréation. il rigole doucement quand elle lui parle des caméras, une moue de dégoût exagérée sur ses lèvres. « je déteste ça honnêtement » qu'il avoue avec une grimace. clare il aime la glace, briller par son art et pas par ses mots - parce qu'il n'a jamais été doué avec sa langue devant une caméra, il aime être lumineux comme le soleil sur la glace rigide qui supporte ses pirouettes à lui et sa partenaire. « à dire vrai, j'ai toujours laissé mes partenaires prendre le dessus quand il ne s'agit pas de la glace, c'est pas mon environnement de prédilection » dit-il dans un petit sourire. parce qu'il n'a jamais été très à l'aise en public malgré la confiance et la notoriété que le patinage lui a donné. un petit rire lui échappe lorsqu'elle lui dit adorer être au centre des lumières des flash, « je te donne ma place quand tu veux » qu'il taquine parce que s'il avait pu éviter cette partie là des championnats, il l'aurait fait.