la promesse de l'aube (shane)

la promesse de l'aube

Parfois je lève la tête et regarde mon frère l'Océan avec amitié: il feint l'infini, mais je sais que lui aussi se heurte partout à ses limites, et voilà pourquoi, sans doute, tout ce tumulte, tout ce fracas.

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Chaque aube venait comme une délivrance. Ses matins ressemblaient à une prière ; un chant lancinant qui montait du néant, une supplication psalmodiée en silence, un appel désespéré à la lumière. Délivre-nous du mal. Puis enfin les premiers rayons se levaient par-dessus la terre, lançant leurs longs filaments vers l’océan, perçant les souvenirs tournés en cauchemar. Mais la peur lui avait volé ses nuits. Certes, depuis qu’il était venu se réfugier chez Shane, il parvenait à arracher à son subconscient fracassé quelques heures de paix. Mais cela ne durait jamais longtemps. Les démons brisaient leurs chaînes et revenaient hanter les ombres que la lune allongeait.

Alors tous les matins, il allait voir la mer. Là où pendant des années son ami avait été celui à la secouer chaque matin, réveillant la marmotte qu’il était avec une liste longue comme le bras de choses à faire. Mais plus depuis qu’il était revenu. Le ciel était à peine une aquarelle de nuances bleutées quand il quittait la maison en silence, descendant en courant vers la mer. Trouver son rythme dans l’exertion physique était une habitude que l’armée avait engrainée en lui et qui ne le quitterait probablement jamais. Suivant le même parcours chaque matin, il arrivait finalement à la mer, surtout cette longue plage en croissant de Carmel, juste à temps pour voir bailler le soleil par-dessus la ville.

Alors il revenait à longues foulées vers chez son ami, comme un bateau dérive vers un port temporaire. Il lavait l’effort d’une douche fraîche, dans une tentative vaine de saisir son esprit hors de la brume à coup d’eau froide. Et généralement les dimanches matin Shane le retrouvait là, une tasse vide en main, avec dans la cuisine le bruit de la cafetière qui écoule le café par soubresaut.

Mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui il était parti tôt avec quelques affaires, son sac à dos jeté par-dessus l’épaule comme un sac de pommes de terre, les yeux rivés vers le sol. Il regardait beaucoup le sol, ces derniers temps. Si le temps était bien révolu où il restait le regard accroché au ciel comme autant de jeunes gens affamés d’horizon, il y a quelques mois encore, il osait regarder droit devant lui. Plus maintenant. Il gardait les yeux au sol comme s’il craignait sans cesse de trébucher. Il était parti tôt au matin, et avait laissé son sac au bout de la plage. Changé le circuit de sa course habituelle. Etait revenu à la mer. C’est là que son meilleur ami lui avait demandé de l’attendre dans ce matin qui annonçait dans un silence frais une journée extraordinaire. C’est là que son meilleur ami le trouva, assis dans le sable, le nez et l’esprit plongé dans La Promesse de l’aube.

En sentant une présence à ses côtés lui barrer la lumière pâle du matin, il releva les yeux. Un sourire fin, éphémère, presque timide, adoucit ses traits. « Alors ? Tu vas enfin me le montrer, ton océan ? »

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