(1/1 pris ) pré-lien de neva weisel, lover, dancer

"Neva, vous ne viendrez pas avec nous à Moscou cette année... Restez donc vous occuper des étudiants ici." Ça avait commencé ainsi. Petit à petit, on l'exfiltrait des projecteurs et du devant de la scène. On ne lui offrait plus le premier rôle. Elle n'était plus Odette mais la reine mère. L'âge est un bien cruel facteur de la danse classique. C'est avec l'âge que vous gagnez en maîtrise, mais aussi que vous vous affaiblissez, que vous vous ternissez. Elle en développait une jalousie profonde à l'égard des plus jeunes. Elle se transformait en cygne noir, rongée par la morosité. C'était pendant une série de représentations en Russie, quand l'intégralité du corps de ballet était parti, qu'on l'avait laissé là, elle, l'étoile filante, déchue de sa gloire avant même ses trente ans, qu'elle l'avait vu. Qu'il était venu à elle. Il enseignait depuis bien plus longtemps, avec des méthodes bien moins conventionnelles, enfermé dans un mariage sans aucune saveur, mais qui lui apportait le statut social qu'il n'avait jamais atteint. C'était lui qui avait lu la peine dans ses yeux et qui l'avait emmené boire un verre, le soir de la première qui se déroulait à des milliers de kilomètres d'eux. C'est comme ça que tout avait commencé. Qu'il se réveillait dans son lit tous les matins. Qu'ils ont commencé à s'aimer, avec tellement de passion que c'en était incendiaire. Les disputes aussi puissantes que les réconciliations. Le fait de savoir que c'était une relation compliquée, avec un destin funeste, ça rendait la chose dramatique. Parce qu'il en avait vu, des femmes. Et elle en avait vu, des hommes. Mais aucun n'avait réussi ce qu'ils se faisaient l'un à l'autre - les rendre faible. Deux personnalités fortes, pompeuses presque, qui découvraient enfin leur faiblesse - l'amour. Personne ne l'aurait parié, certainement pas eux.
Les mois sont passés. La compagnie est rentrée, et là, tout le monde s'est mis à jaser. Neva, autrefois étoile brillante, était reléguée à "une parmi tant d'autres". Il lui promettait qu'ils s'enfuiraient, tous les deux, loin, pour qu'elle tienne. C'est pour ça qu'elle est restée, malgré les regards lourds de sous-entendus. Les mois passèrent encore. Pas de départ amoureux spontané à l'horizon. La passion qui brûlait dans leurs âmes, bien que toujours aussi vive, se trouvait terrassée par un feu bien plus grand : le rang social. Neva, elle, avait accepté d'y renoncer. Mais lui, il ne pouvait pas. Il venait de nulle part, il s'était construit seul, et il s'était élevé grâce à sa femme. La quitter, c'était tout réduire en cendres. Ça, Neva a finit par le comprendre. Comme dans tous les mauvais films à l'eau de rose, il ne quitterait jamais son épouse. Il la suppliait de rester. Plusieurs fois, elle a retardé son départ. Et puis, une nuit, elle a sauté dans un avion.
Rentrer, drapée de honte. C'était la seule solution. Mentir aussi. Personne ne devait savoir la disgrâce qui s'était abattue sur elle. C'est le genre de milieu fermé et élitiste qui ne parle à personne, le ballet. Mais autour des Weisel, aucune porte n'est fermée, même à Carmel.