runaway (charlie)

Elle a sortie son ciré jaune, spécial balade sur la plage, car bien que le soleil pointe le bout de son nez, le vent est un sale traître qui vient mordre chaque parcelle de peau laissée à sa merci, sans pitié. Mais elle a besoin de sortir, de prendre l’air, de retrouver l’océan, sa force apaisante, qui lui apporte toujours le calme quand elle en a besoin. Et depuis quelques jours, elle en a bien besoin. Depuis cette foutue soirée où elle a eu l’idée du siècle de raccompagner Womanizer Middleton jusque chez lui sur son vélo. Elle aurait mieux fait de le laisser crever sur le bord de la route, plutôt que de vouloir jouer les gentilles. Ca lui apprendra à s’inquiéter pour des connards pareils. Mais ce qui la révolte le plus, c’est ce qu’il a réveillé en elle, l’espace d’une seconde, avant que le nom d’une autre ne franchisse ses lèvres. Elle aurait presque pu lui laisser une chance, accepter de se dire que peut-être, il n’était pas si insupportable que ça. Mais il l’avait confortée dans son opinion en cinq lettres. F I O N A. Cette autre pour qui il l’avait prise, sans qu’elle ne comprenne vraiment pourquoi. Et elle avait beau essayé de se le sortir de la tête, d’oublier le goût alcoolisé de ses lèvres sur les siennes, il lui revenait sans cesse en mémoire. Alors en ce jour de congé béni, elle tente le tout pour le tout, sa carte secrète qui fonctionne à chaque fois : une longue balade sur la plage. Elle retrousse le bas de son jean, ôte ses chaussures qu’elle tient du bout des doigts, laisse ses pieds s’enfoncer dans le sable alors qu’elle ferme les yeux, savoure l’instant alors que le vent vient caresser son visage. Elle est dans son élément, sans aucun doute possible, et elle sent déjà ses pensées disparaître une à une. Erinn s’approche de la mer, reste dans cette zone floue où les vagues viennent lécher le sable, juste assez pour avoir les pieds dans l’eau de temps en temps, sans pour autant geler sur place. Elle laisse son regard se perdre sur l’horizon, se laisse habiter par cette atmosphère si douce. Et vraiment, elle y croit, elle va enfin pouvoir se détendre. Mais non, le destin en aura décidé autrement alors qu’elle ramène son regard devant elle. Ses yeux tombent sur une silhouette qui ne lui est pas inconnue, et le temps qu’elle percute, elle se fige, fixe l’autre comme si elle venait de voir un fantôme. Un fantôme qu’elle n’a pas vu depuis deux ans. « Charlie ? Je… Qu’est-ce que tu fais là ? » Prise de court, elle ne sait même plus comment aborder ce cousin, de qui elle était pourtant si proche, avant… Avant l’accident.

Les premiers jours à Carmel se passaient à merveille pour le jeune homme. C’était une nouvelle vie qui s’offrait à lui, à eux, une nouveau départ dont ils avaient sincèrement besoin. Quitter Toronto n’avait pas été une chose facile, ni même une décision simple à prendre mais le Kennedy avait eu l’impression que quelque chose les poussaient à venir en Californie. Tout d’abord, il avait appris l’existence d’une soeur vivant dans les horizons, puis Irina vivait ici également et il avait souhaité rencontrer son fils. Un médecin de San Francisco souhaitait évaluer le cas de Saskia également, et pour ajouter une dernière chose à la décision, une proposition de contrat avait été faite au nouveau photographe et c’était une opportunité extraordinaire qu’il n’avait pas pu refuser. Alors voilà, après une semaine à parcourir la Road 66 avec la femme de sa vie, ils étaient maintenant installés ensemble dans une maison, à profiter d’être ensemble et pour apprivoiser cette grossesse qui s’était imposé. Quand il repensait à quel point sa vie avait changé depuis que Saskia était entrée dans sa vie, il n’arrivait pas à y croire. C’était incroyable ce qui leur était arrivé, digne d’un film hollywoodien mais non, c’était bien réel. Son rêve américain, c’était elle. Lui qui avait si longtemps eu du mal à avoir des relations, son surnom Crash était employé sans cesse, c’était presque devenu son identité mais elle avait changé cela. Elle avait fait de lui un homme, un vrai, ils s’étaient mariés et maintenant, ils allaient accueillir un enfant. Et même si la jeune femme risquait de mourir bien plus vite que désiré, Charlie avait la sensation d’avoir une vie complète grâce à elle. Ce soir, il avait ressenti le besoin de s’évaporer un peu la tête et de se promener sur le bord de plage. Saskia était fatiguée, et puis, il avait besoin de chercher de l’inspiration pour des futurs shoot de prévu. Mais il ne s’attendait pas à une telle rencontre. Lorsqu’il entendit son prénom, il releva la tête vers la femme en question, et qu’elle ne fut pas sa surprise lorsqu’il reconnu Erinn, une de ses cousines. Sa cousine avec laquelle il avait la meilleure relation, du moins, c’est ce qu’il pensait jusqu’à il y a deux ans, quand elle avait disparu. Personne ne savait où elle était, Charlie n’avait plus eu de nouvelles et il en avait beaucoup souffert. Elle n’avait pas même été là pour l’enterrement de ses parents, c’est pour dire. Erinn, je te retourne la question. Je viens de m’installer ici pour du travail.La dernière fois qu’Erinn avait eu de ses nouvelles, Charlie était à New York, il était célibataire et il livrait des pizzas. Autant dire que ce n’était pas fameux, alors qu’il était maintenant marié, père, et à son compte avec un emploi gratifiant. Mais il ne lui parlerait pas de Saskia ce soir. Non, il voulait comprendre pourquoi elle avait disparu. Et comment elle allait, surtout. Comment vas-tu? Je te croyais morte. Des paroles un peu rudes, mais pleines de vérités. Charlie avait réellement souffert de la disparition de la brune, ça avait été un déchirement pour lui. Et il avait besoin de comprendre, elle devait bien avoir une raison à tout ça. Il y avait même plutôt intérêt.

@Erinn Sanders

Elle est déstabilisée, un peu perdue face à ce visage qui pour elle appartenait à un passé qu’elle préférait oublier, laisser derrière elle. Non pas qu’elle ne l’appréciait pas, bien au contraire. Charlie était de loin son cousin préféré, et ça avait été l’une des personnes dont elle avait vraiment eu du mal à se séparer, à couper les ponts. Mais elle avait eu besoin de ce nouveau départ, de partir loin de sa sœur, surtout, et si elle l’avait tenu au courant, qu’est-ce qui lui dit qu’il n’aurait pas été prévenir le reste de la famille ? Elle avait estimé que le risque était trop élevé, et avait pris la dure décision de le laisser dans l’ignorance. Elle n’avait aucune idée de ce qu’il était devenu, n’avait pas chercher à se renseigner non plus, de peur de vouloir reprendre contact. Mais maintenant qu’il est là devant elle, en chair et en os, elle n’a plus vraiment le choix. « Oh, je… C’est super. » Elle n’a pas la moindre idée de quel travail il peut bien faire. Aux dernières nouvelles, il était livreur, mais on ne traverse pas tout un pays pour des pizzas, si ? « J’habite ici depuis un peu plus de deux ans. » Depuis qu’elle ne lui a plus donné de nouvelles, qu’elle a disparu de leur vie sans prévenir, sans explication. Elle ne s’était jamais demandée comment sa famille avait pris son départ, préférait éviter de se poser la question. Car si elle n’en avait rien à faire que ce qui lui servait de sœur souffre, de voir Charlie devant elle, elle avait presque des remords de l’avoir laissé sans nouvelle, sans un mot, ne serait-ce que pour expliquer sa décision, son départ brutal. Les mots tombent, morte, froids, et elle se prend sa douleur comme une lame qu’on lui enfonce dans la poitrine. Elle encaisse, difficilement, mais comment pourrait-elle se permettre de faire une remarque ? Elle est fautive, elle le sait. Alors elle ravale sa fierté, se contente de répondre à sa question alors qu’elle a l’impression de marcher sur des œufs. « Je vais… bien ? J’ai trouvé un travail en arrivant, j’ai un petit studio près de la plage, je suis pas à plaindre, je crois… Et toi ? Qu’est-ce que tu deviens ? » Elle évite soigneusement d’étendre la question à la famille. Elle scrute son visage, essaie de déceler s’il est heureux ou non de la revoir, s’il lui en veut ou pas. Sa gorge se serre alors qu’elle essaie de contenir la vague de remords qui l’envahit. « Charlie, je… je suis désolée… » Pour tout, pour avoir disparu de sa vie, pour ne pas avoir chercher à reprendre contact.

Charlie n’avait pas connu la chance d’avoir des frères ou des soeurs. Il avait grandi en tant que fils unique, avec ses parents et ses grands parents auprès de lui, dans un bonheur comme peu d’enfant ont la chance de le connaître. Il n’avait jamais vraiment souffert de cette situation, mais il doit bien admettre que maintenant qu’il avait perdu ses parents, il regrettait de ne pas avoir davantage de famille sur qui s’appuyer. Le canadien savait depuis quelques semaines qu’il avait une soeur qui vivait en Californie, et il avait vraiment du mal à imaginer la chose. Pour autant, cette absence de fratrie avait toujours encouragé le jeune homme à être proche de ses cousins et de ses cousines, et Erinn en avait été la première. Il s’entendait merveilleusement bien avec elle lors de son enfance. Mais quand elle avait disparu du jour au lendemain il y a deux ans, Charlie l’avait vraiment mal pris et lui en voulait énormément. Elle n’avait pas été là lors de l’enterrement de ses parents, alors qu’il aurait eu besoin d’elle, et il lui en voulait de cet abandon. Il ne s’attendait vraiment pas à la voir ici, alors il l’écoute attentivement quand elle lui raconte qu’elle vit ici depuis deux ans. Deux ans pendant lesquels elle a totalement oublié sa famille, sans donner de nouvelle à personne et ça, ça le rendait dingue le canadien. Il soupire légèrement en essayant malgré tout d’être agréable. Moi, je vais bien, enfin tu sais, la routine d’un gars qui a perdu ses parents. Mais je suis photographe depuis peu, mon rêve de gamin, si tu t’en souviens. J’habite dans une maison près de la plage, aussi. Il lui offre un léger sourire avant de soupirer. Il ne voulait pas lui parler de lui plus longuement, ni même évoquer le sujet de Saskia, parce que c’était un sujet délicat et qu’il n’en parlait qu’aux personnes en qui il avait pleinement confiance. Et malheureusement, ce n’était plus le cas d’Erinn. Cette dernière a beau s’excuser, Charlie reste malgré tout assez méfiant. Qu’est-ce que tu es devenue? Tu le vis comment? D’avoir abandonné sa famille, de l’avoir abandonné. C’est peut-être égoïste pour Charlie de penser ainsi, mais c’était plus fort que lui, il avait été réellement blessé par son attitude.

@Erinn Sanders rip ma maj, j'ai trop peur de perdre ta réponse

Perdu ses parents. Il lâche ça comme ça, le glisse au milieu de la conversation, comme si de rien n’était, comme si ce n’était pas important, mais ça la frappe, comme si elle se prenait un coup de poing dans l’estomac, et elle s’en veut. Elle s’en veut de ne pas avoir été là pour lui, de pas avoir su, de ne pas avoir pu lui envoyer ne serait-ce qu’un message. Le reste des informations se perd, le contraste trop fort entre la perte de ses parents et son rêve d’enfant, et elle ne sait plus quoi dire, ne sait plus comment réagir, ne sait plus par où commencer alors qu’elle sent la honte l’envahir. « Je… Charlie, je suis désolée de pas avoir été là pour… vraiment. C’est arrivé quand ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ? » Elle ne lui en voudrait pas s’il l’envoyait balader, décidait de la planter là sans aucune autre forme d’explication après ce qu’elle lui a fait subir, mais il reste. « Oui je me souviens, comment j’aurais pu oublier ? » Elle lui offre un sourire sincère, se souvient de Charlie enfant, appareil à la main, et ça lui réchauffe le cœur de savoir qu’il a pu accomplir son rêve, même si ça pique un peu, lui rappelle son propre échec. Au moins l’un d’eux aura eu plus de chance dans la vie, et il le méritait probablement plus qu’elle. Il n’avait pas abandonné sa famille, lui. Ne l’aurait probablement jamais fait. Elle aimerait éviter de parler d’elle, mais sans compter sur ses questions. Elle sait, qu’elle lui doit une explication, qu’il en attend sûrement une, mais maintenant qu’il est là, en face d’elle, elle ne sait plus très bien si ses raisons sont réellement justifiées, s’il comprendra ce qui l’a poussée à fuir à l’époque. Elle hésite, cherche ses mots. « Je suis barmaid dans un hôtel de la ville. Et je le vis… je sais pas comment je le vis, honnêtement ? Je… Après l’accident je… » Ca brule, ça ravive des émotions qu’elle avait enfouie tout au fond de son être, qu’elle pensait ne jamais ressortir, et elle sent sa gorge qui se serre alors qu’elle se force à continuer. « Je pouvais plus voir… Je pouvais plus la voir. » Adel. Sa sœur. Dont elle n’arrive même pas à prononcer le nom. « Je… C’était trop dur ? Je pouvais pas rester à Chicago, de voir la pitié dans leur regard ça… C’était trop. Je sais pas si t’arrivera à comprendre, mais j’en pouvais plus, j’avais besoin de partir, de recommencer à zéro. » De le dire à voix haute, face à lui, ça lui paraît incroyablement égoïste, et pourtant elle ne se serait pas vu faire autrement pour autant. « Mais ça a été dur. Tu m’as manqué. Sincèrement. » C’était probablement le seul membre de sa famille avec qui elle avait eu autant de mal à couper les ponts.

Charlie avait souffert de l’absence d’Erinn. Elle était cette cousine, cette soeur qu’il n’avait jamais eu, et son absence l’avait pesé quand ses parents étaient décédés. Ça avait été soudain, il n’avait pas pu s’y préparer et d’en parler avec Erinn, ça le met un peu mal à l’aise. Elle lui demande des explications, et le gamin soupire vraiment, il n’est pas à l’aise avec tout ça, il lui en veut tellement. En novembre dernier. Un accident de voiture, les deux, d’un coup. dit-il avant de baisser un peu les yeux. Il n’avait pas envie d’en parler, c’était encore difficile pour lui d’accepter son deuil, et les nouvelles qu’il avait appris récemment concernant l’existence d’une soeur en Californie n’arrangeait en rien la mémoire de ses deux ascendants. Il s’était toujours senti heureux en famille, mais leur perte brutale avait provoqué un ouragan d’émotion et le gamin avait peur de ne pas s’en sortir. Il offre malgré tout un sourire à la jeune femme quand elle montre son souvenir le concernant, il a toujours rêvé d’être photographe, c’était un rêve de gamin et il était content que ce soit maintenant une réalité. Ses parents l’avaient toujours empêché de faire son rêve, et maintenant qu’ils n’étaient plus là, il avait réussi, miraculeusement à percer en l’espace de quelques semaines. C’était fou, et il avait encore du mal à y croire. Le gamin essaie ensuite de s’intéresser à la brune parce que malgré tout, il a besoin d’explication sur tout ça, pourquoi elle est partie alors que rien ne la poussait à partir. Il l’écoute attentivement et soupire un peu quand elle évoque son accident. Charlie, il savait que ça avait été un drame, mais pas à ce point et ça le surprend. Quand elle évoque un nouveau départ, le jeune homme relève la tête. Il savait ce que c’était, il savait car il en avait fait deux en quelques mois. Le premier, pour fuir New York, fuir Saskia qui l’avait abandonné, fuir cette ville qui avait été le lieu de la perte de ses parents. Je comprend mais…pourquoi tu ne m’as rien dit Erinn? J’habitais New York, j’habitais pas Chicago, t’aurais au moins pu me prévenir. Un message. Un simple message. dit-il le souffle coupé. Il lui en voulait, malgré tout, même si elle lui disait que ça avait été dur, qu’il lui avait manqué. Tu m’as manqué aussi Erinn. J’aurai aimé que tu sois là pour tout ce qu’il s’est passé. dit-il. Pour tout. Ses parents. Sa rencontre avec Saskia, ses peurs, ses doutes, son mariage, l’abandon de sa belle, le retour de sa belle à Toronto, leur second mariage, sa mort, puis sa renaissance, puis cet enfant, puis sa réussite professionnel. Charlie n’avait pas fait grand chose dans sa vie, mais les choses extraordinaires qu’il avait accompli datait de l’année dernière et de cette année. Mais elle n’avait pas été là. Elle arrivait après. Après la tempête.

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L’accident de voiture, ça vient réveiller les vieilles blessures, et son cœur se serre de voir qu’il a dû passer par là, que ses parents ont eu moins de chance qu’Adel et elle. Elle n’ose imaginer la douleur qu’il a dû ressentir, de perdre ses deux parents d’un coup, comme ça, sans prévenir. La vie était parfois réellement injuste. « Je… je suis désolée… » Elle ne sait pas quoi dire d’autre, aimerait pouvoir le prendre dans ses bras mais n’est pas sûre que ce sera réellement bien accueilli. Alors elle se contente de rester à distance raisonnable, les yeux qui se perdent dans le sable à ses pieds alors qu’elle croise les bras devant elle. Ca la désole de voir qu’ils sont là, comme deux inconnus, alors qu’ils étaient pourtant si proche avant qu’elle ne prenne la fuite direction la côte ouest. Il lui était arrivée de penser à lui, de se demander ce qu’il devenait, mais elle n’avait jamais eu le courage de reprendre contact, trop effrayé à l’idée qu’il ne l’envoie sur les roses pour être partie sans prévenir. Et aussi, à l’idée qu’il puisse en parler aux autres membres de la famille, et qu’elle finisse par voir le reste débarquer. Et dans la balance, ça avait pesé bien plus lourd que le fait d’avoir de nouveaux des contacts avec son cousin préféré. Mais maintenant qu’il était là devant lui, elle n’était pas certaine de la véracité ni de l’exactitude de ses calculs. Il lui en veut, elle le sent, et elle peut le comprendre, mais ça n’empêche pas son cœur de saigner. « Je… je sais pas ? J’ai fait ça sur un coup de tête, et après, c’était trop tard ? Je me suis dit que… tu devais m’en vouloir, que ça servait à rien de revenir sur ce qui était fait ? Je sais, c’est con, et c’est des excuses, mais… » mais c’est sa vision des choses, et elle n’arrive pas à trouver autre chose à dire pour expliquer son comportement. Ca lui semble si loin, aujourd’hui, comme si elle était une autre personne à présent, avec une vie complètement différente, une personnalité différente… Et elle a peur qu’il ne la reconnaisse pas, qu’elle ait tant changé que leur relation en prenne encore un coup. « Moi aussi, j’aurais aimé être là pour… Si j’avais su, je… » Quoi ? Elle aurait pris un avion pour se pointer à l’enterrement sans prévenir ? Et prendre le risque de croiser le reste de la famille ? Probablement pas. « Je regrette. Vraiment. » Elle ne sait pas quoi dire d’autre, rongée par la honte et la culpabilité de l’avoir abandonné quand il aurait eu besoin d’elle.

Carmel avait été la destination d’un nouveau départ pour le photographe nouvellement connu et sa femme, celle qu’il aimait et à qui il était prêt à offrir le meilleur. Il l’aimait d’un amour fort, ils étaient complices et fusionnels et même si ça lui faisait peur parfois, il était maintenant le plus heureux. Une femme à ses côtés, un emploi stable, celui dont il a toujours rêvé et maintenant une maison face à la mer, il ne pouvait pas espérer mieux. Même si il n’avait plus ses parents et plus vraiment de famille, Charlie était vraiment heureux, il respirait le bonheur. Mais lorsqu’il avait reconnu Erinn à la plage, une partie de son bonheur s’était éteint pour laisser place à la nostalgie, presque à la colère. Elle l’avait abandonné, il y a deux ans. Sa cousine, celle de qui il était le plus proche, presque comme une soeur. Il était surpris de la voir ici, deux ans plus tard, le hasard faisait visiblement bien les choses même si il aurait préféré que les retrouvailles se fassent autrement que sur le coup du hasard — ou du destin. Il avait besoin de chercher à comprendre, pourquoi elle n’avait pas donné de nouvelles. Un coup de tête qu’elle dit, puis c’était trop tard. Elle semblait sincère dans ses mots malgré tout mais Charlie ne put s’empêcher de soupirer un peu. Je comprend, mais abandonner ton cousin sur un coup de tête… Mais bon, si tu pensais que c’était le mieux à faire, d’accord. dit-il en lâchant un nouveau soupire. Il était un peu mal à l’aise, elle avait loupé tellement de choses. Et surtout, la mort de son oncle et de sa tante de manière vraiment tragique en novembre dernier. Elle n’avait pas été là, et même si Charlie l’avait prévenu par message à sans doute, son ancien numéro, elle ne semblait pas vraiment au courant. Si elle avait su… Elle laisse sa phrase en suspend, et Charlie écoute ses regrets en haussant les épaules. Tu serais pas venue Erinn, inutile de mentir. Enfin bref, on va pas débattre pendant vingt ans. Mais je suis content de te revoir, vraiment. Il lui offre un léger sourire. Il n’avait pas envie d’avoir de la rancune ou des regrets si il décidait de ne plus la voir après ça. Charlie n’était pas un homme méchant, il était même assez naïf et innocent, il pardonnait facilement. Mais sa confiance était difficile à obtenir quand elle avait été perdu une fois, alors il ne voulait pas trop lui parler des détails de sa vie, il ne voulait même pas évoquer Saskia, c’était pour dire. Et ta vie ici se passe bien? C’est tranquille la vie par ici? C’est plus calme que les grandes villes. dit-il. Il avait pu le constater par lui-même, il avait grandi à Toronto et New York, et Carmel n’était vraiment pas comparable.

@Erinn Sanders

Elle sait qu’il a raison, que le coup de tête est loin d’être une excuse valable, et qu’elle aurait dû faire les choses autrement, et que c’était loin d’être le mieux à faire. Mais même si elle revenait en arrière aujourd’hui, elle n’est pas sûre qu’elle aurait fait les choses autrement, à vrai dire. Peut-être juste avec Charlie. Elle l’aurait prévenu, lui aurait expliqué avant de partir, se serait arrangée pour garder contact avec lui sans qu’il ne la dénonce aux autres. Mais ça ne servait à rien de revenir sur le passé, de vouloir réécrire ce qui avait été fait. « Je dis pas que c’était le mieux mais… C’est… Je sais pas. » Elle commence à se sentir de plus en plus tendue face à lui, pourrait presque sentir l’énervement se pointer, parce que ça a toujours été plus facile pour elle de s’énerver plutôt que de gérer ses émotions. Et quand il verbalise le fait qu’elle ne serait probablement pas venue à l’enterrement de ses parents, elle tique, les mâchoires qui se crispent alors qu’elle se freine. Il n’y est pour rien, et c’est logique qu’il soit amer, mais ça la blesse quand même, et elle aurait envie de répondre. Mais elle se retient, préfère ravaler sa rancœur plutôt que de compromettre ces retrouvailles déjà si fragiles. Elle ne sait pas trop ce que ça va donner, s’ils retrouveront un jour cette complicité qu’ils avaient avant son départ. Il y a probablement peu de chance que ça arrive, et pourtant elle ne peut s’empêcher d’espérer. Il dévie le sujet, ramène le focus sur sa vie ici, et ça la déstabilise. Les banalités qui prennent le dessus, comme deux inconnus qui se rencontrent, le décalage est trop flagrant avec ce qu’ils avaient avant pour que ça soit naturel pour elle. « Euh… ça se passe ? Je veux dire, rien de bien exceptionnel. J’ai un job de barmaid à l’hôtel Wilson, le cousin du patron est un connard fini… Je partage mon studio avec mon chat ? Mais effectivement, c’est très calme ici, on est loin de l’effervescence de Chicago ou New-York… » Elle baisse à nouveau les yeux, hésite à lui poser des questions, ne sait pas trop s’il a envie de lui parler ou pas. « Et toi… tu… Tu comptes rester ici longtemps ? Ou t’es de passage ?... » Elle lève les yeux vers lui alors qu’elle essaie de savoir s’il va de nouveau faire partie de sa vie ou s’il se contentera de partir, et de l’abandonner comme elle l’avait fait deux ans plus tôt.