The one that got away (Cecilia)

Tout plaquer et rejoindre Cecilia a plus de 300 miles de Los Angeles lui paraissait être une bonne idée sur le moment. Pourtant, deux heures de route plus tard, à mi-chemin, les doutes ont commencé à l’assaillir, par millier. Après tout, le jeune homme ne l’a pas revu depuis son anniversaire le mois dernier, depuis qu’il l’a demandé en mariage et qu’elle a fui. Il a peur de ce qu’il va découvrir, peur que tout cela ne fasse sombrer sa vie dans un bordel encore plus grand que ce qu’elle est déjà.
Il est prêt à faire demi-tour, puis se remémore le chaos familial qu’il a laissé derrière lui à Los Angeles, et cela suffit pour qu’il continue sa route. Pour forcer ses pensées à se taire, il monte le volume de la musique jusqu’à en faire trembler les haut-parleurs de la voiture.

Après ce qu’il lui semble comme des milliers d’heures de route, il arrive enfin dans la petite ville de Carmel-by-the-Sea, au Nord de la Californie, tout en se demandant ce que Cecilia peut bien faire ici. Il ne se souvient pas qu’elle ait un jour mentionné ce lieu. Ce choix n’est qu’une interrogation de plus, qu’il peut rajouter aux dizaines qui se bousculent déjà dans sa tête.
Son plan est simple, peut-être un peu brutal, mais a le mérite de les mettre devant le fait accompli. Il va simplement retrouver Cece à l’endroit où elle a été localisée. tout en tentant de ne pas penser à tout ce qui pourrait mal se passer. Heureusement pour lui, la technologie moderne lui facilite la tâche. Comme un piètre stalker de série télé, il lui a simplement suffi de noter l’adresse à laquelle Cecilia avait été localisée puis de la rentrer dans son GPS.
Il aurait pu choisir une méthode douce, la prévenir qu’il était en ville et lui proposer un rendez-vous dans un café mais retarder leur rencontre ne ferait que lui laisser plus de temps pour douter et se dégonfler. Et puis, il n’était pas vraiment sûr qu’elle lise ses messages.
Ce choix de méthode n’empêche cependant pas de nouveaux doutes de le frapper lorsqu’il arrive devant la maison. La décision qu’il a pris spontanément quelques heures plus tôt, lui parait maintenant stupide et digne d’une comédie romantique bien trop clichée. La voiture de celle qui aurait dû être sa fiancée est garée dans l’allée, signe qu’il s’agit bien de l’endroit où elle se cache depuis des semaines.

Dix minutes, c’est le temps qu’il s’accorde avant de passer à l’action, le temps qu’il faut pour qu’il puisse rassembler le peu de courage dont il dispose. C’est également le temps que lui laisseront les voisins avant de le qualifier comme un voyeur psychopathe. Les minutes défilent bien trop vite à son gout, mais il sait qu’il ne peut pas rester indéfiniment dans l’habitacle. Il prend tout de même le temps de noter la présence d’une seconde voiture dans l’allée, qu’il ne reconnait pas. Nouvelle inconnue à une équation qui en comporte maintenant beaucoup trop.
Il sort enfin, prêt à passer à l’action, il ne partira pas d’ici sans réponses ou sans elle. Il est maintenant trop tard pour faire marche arrière, il lève la main et frappe à la porte d’entrée. Trois coups brefs, comme il le fait toujours. Il entend des pas derrière la porte et son estomac se tord d’appréhension.

Bientôt un mois que tu étais arrivée par un beau matin, complétement perdue dans cette allée, cherchant un havre de paix, un refuge pour apaiser ton esprit déboussolé. Le plan s’était avéré bien plus compliqué que prévu, et les révélations qui t’attendaient sur place n’avaient rien fait pour t’aider. Pourtant tu commençais à te sentir de mieux en mieux, et à apprécier ce changement d’air, songeant même certains soirs à prendre un nouveau départ, ici où personne ne te connaissait. Certes, ça te paraissait attractif sur le papier, mais une part de toi savait que tout ce que tu avais laissé à LA était loin d’être réglé, et que ton envie de rester ici n’était qu’un prétexte pour t’éviter de faire précisément ce pourquoi tu t’étais éloignée : Mettre de l’ordre dans tes pensées.
Il faisait bon vivre en ce mois de mai, et cette après-midi-là Daphnis travaillait, alors tu avais décidé de passer l’après-midi à la maison avec Theo, profiter un peu de la tranquillité que cette maison t’apportait. Tu commençais peu à peu à prendre tes habitudes, trouver tes marques dans cette demeure, commençant même à l’apprécier.
Soudain, des coups retentissent sur la porte, et tu te diriges vers l’entrée, intriguée. Theo passe sa tête depuis la cuisine et te fait comprendre d’un regard que lui non plus n’attendait personne, ce qui attise ta curiosité. D’un pas léger tu atteins la porte, et l’ouvres d’un geste désinvolte, le sourire aux lèvres, curieuse de découvrir qui pouvait bien venir vous rendre visite. Tout en ouvrant, tu commences à entonner d’un ton détendu : « Oui ? Qui c’eeest ? » dont la fin de phrase se perd tout comme ta voix lorsque tu réalises qu’il s’agit de Felix sur le pas de ta porte. Ton corps se fige instantanément dans la large encadrure, et tu te retrouves submergée par la succession d’une multitude d’émotions, comme percutée par une vague déferlante, retournant tout sur son passage.
Tout d’abord, ce fut la surprise, le choc de découvrir ce visage qui, bien que familier, était l’un des derniers que tu t’attendais à voir ici, en cette fin de journée banale à des centaines de kilomètres de là où tu l’imaginais. Vint ensuite la joie de le revoir, parce que malgré tout, Felix, il ne se résume pas à une histoire d’amour clichée, c’est aussi ton meilleur ami, ton pilier, celui qui te connait mieux que quiconque malgré tes récents secrets. Celui qui a partagé tes joies, tes peines, tes fous rires, vos nuits blanches, vos nuits d’amour, vos esprits interconnectés, un lien inébranlable, qui t’a terriblement manqué. C’était l’une des raisons qui t’avait poussée à t’enfuir, à prendre tes distances, pour mieux te retrouver, sans être influencée par ce qui vous unissait, sachant que ses mots risqueraient de te faire flancher. La joie fut suivie de l’incompréhension, que faisait-il ici ? comment avait-il su où te trouver, mais surtout pour quelles raisons avait-il fait tout le chemin jusqu’ici ? Une dispute, une explication, te quitter ?... L'appréhension te gagna un fugace instant devant l'imprévu de la situation.  Finalement, tous ces sentiments finirent par céder place à la honte, en repensant à votre dernière rencontre, et à ta fuite sans même le prévenir, ton absence d’explication… Ta lâcheté te revenait en pleine face, et c’était à lui, maintenant, que tu devais faire face justement, lui qui s’était déplacé jusqu’ici pour palier à ta propre lâcheté, et tu n’avais aucune échappatoire désormais. Il t’avait déjà laissé un mois, et au fond de toi tu savais qu’il était légitime désormais de t’expliquer.
Il ne se passe que quelques secondes, mais l’on peut clairement voir transparaître dans tes yeux ce défilé d’émotion t’heurtant de plein fouet. Tu ouvres la bouche dans une vaine tentative de parler, mais aucun son ne parvient à franchir tes lèvres. Error 404, page not found, ton cerveau se retrouve incapable de traiter l’information. Mais ton corps, lui, n’attend aucune sorte d’approbation et se laisse guider par ton instinct, dans la seule réaction possible dont tu as besoin sur le moment. Et sans crier gare, tu t’élances dans ses bras, d’un geste spontané, irréfléchi, et surement un peu égoïste aussi. Tu ne réfléchis pas au fait qu’il n’en a surement aucune envie après votre dernière entrevue, et surtout ton silence de ce dernier mois. Tu te fiches de tes doutes, de tes peurs, quand déjà tes bras retrouvent leur chemin sur son corps, et viennent se lacer instinctivement autour de son cou comme ils l’ont déjà fait des millions de fois auparavant. Tu te retrouves un instant hors du temps, occultant toute la situation, tes sens se satisfaisants juste de sa présence, son contact, son parfum. Tout chez lui est rassurant, familier, et tu te rends compte du manque en toi que ce mois d’éloignement a suscité .
Tu finis par relâcher ton étreinte et te reculer doucement, quelque peu gênée en réalisant que tu ne lui as pas laissé le choix de cette étreinte soudaine. Tout en plaçant une mèche derrière ton oreille dans un geste de nervosité, tu parviens enfin à articuler quelques mots. « Felix ! … Mais… Que…Qu’est-ce que tu fais ici ? … Comment tu m’as trouvée ? » Tu as beau réfléchir, tu ne trouves aucune explication, ayant évité tout contact avec lui et quiconque venant de LA depuis des semaines. Et pourtant il était là, donc forcément un indice avait dû t’échapper sur l’endroit où tu étais venue te réfugier, surtout que de toutes ces années à côtoyer Felix, tu savais qu'il n’avait jamais été très doué pour espionner les gens. La preuve en est, tu as réussi à prétendre aller à la fac pendant des mois sans qu’il ne s’aperçoive de rien…
« Cece ? C’est qui à la porte ? »  La voix grave de Théo, provenant du fond de la résidence interrompt subitement tes pensées, te ramenant à la réalité de vos retrouvailles inattendues. Sans répondre à ton demi-frère, tu fermes la porte d’entrée derrière toi, voulant garder cette entrevue avec Felix quelque peu plus privée. Tellement de choses s’étaient passées depuis ton départ, qu’un résumé semblait déjà bien trop long et tu préférais garder des forces pour les longues explications que tu lui devais. « Je crois qu’on a beaucoup de chose à se dire » tu commences, avant d’aviser le salon de jardin installé sur le porche d’entrée. « Tu veux pas qu’on s’installe ? On ne va pas rester debout devant la porte d’entrée tout ce temps»

Felix entends des pas derrière la porte et l’appréhension se fait plus grande que jamais, s’il s’écoutait il partirait sûrement en courant. Mais la porte s’ouvre sur elle, sur Cece, celle qui l’a abandonné, celle qui est partie sans un regard en arrière, et cette simple vision suffit à faire bondir son cœur. Plus d’un mois qu’il tente de s’habituer à vivre sans elle à ses côtés et tout s’envole en fumée aussitôt qu’il la voit. Tout d’un coup, il prend conscience de l’amour qu’il lui porte et du manque qu’a causé son absence.
Si celle qu’il est venu retrouver l’accueille chaleureusement, elle perd rapidement de sa superbe lorsqu’elle le reconnait. Comme un animal gracile et fragile dans les phares d’une voiture, elle reste figée devant lui, bloquée dans l’embrasure de la porte. A vrai dire, Felix n’est pas mieux, en un mois et cinq heures de route, il a eu tout le loisir de penser aux premiers mots qu’il prononcerait lorsqu’il retrouverait celle qui l’aime, aux questions qu’il lui poserait et aux réponses qu’il aimerait avoir. Pourtant, il n’arrive pas à prononcer tous ses mots, bloqués dans sa gorge par le choc de la revoir et par les sentiments contradictoires qui se bousculent en lui. D’un côté, le bonheur d’être enfin auprès d’elle et de l’autre, la colère, l’incompréhension, la déception. Il le voit dans son regard, elle aussi est au prise de nombreuses émotions mais il n’a jamais été doué à ce jeu-là, peut être que s’il avait regardé ses yeux ce soir-là, il n’aurait jamais été au bout de sa demande. Le silence causé par ce choc ne dure que quelques secondes, mais cela est suffisant pour qu’il en devienne gênant. Il tente de reprendre ses esprits mais parvient seulement à prononcer un bref « S … Salut » accompagné d’un sourire gêné. Minable.
Elle ouvre la bouche mais aucun son n’en sort, et d’un coup, une première vague de colère et d’agacement frappe Felix. Un mois qu’elle s’est enfuie et elle n’arrive pas à prononcer un mot, s’attendait-elle vraiment à pouvoir fuir sans jamais devoir se confronter à ceux qu’elle avait laissé à Los Angeles, sans jamais leur donner d’explications. Felix n’est jamais en colère très longtemps, il est du genre pacifiste et compréhensif, on dit qu’il s’agit des traits typiques de l’enfant du milieux. Alors rapidement, cette colère laisse place à la surprise lorsqu’il sent les bras de Cece s’enrouler autour de son cou. Et encore une fois, c’est une déferlante d’émotions qui s’abat sur lui. Sa mémoire musculaire se réveille et instinctivement, il a envie de l’imiter, de serrer ses bras autour de sa taille, comme avant. Mais il s’en empêche, on ne peut pas balayer un mois d’absence d’un simple contact physique. Pour autant, la repousser est au-dessus de ses forces, il en a besoin. Il apprécie ce moment figé, ces quelques secondes où le temps s’est arrêté, où ils se laissent guider par les sentiments qui les animent. D’un coup, il serait prêt à tout oublier, à tout balayer pour passer quelques instants de plus dans ses bras. Perdu dans ses pensées, il ne reprend contact avec la réalité que lorsqu’elle se recule.
Enfin, elle prononce ses premiers mots, évoquant sa surprise et lui demandant comment il a fait pour la retrouver. Et c’est une première douche froide, inconsciemment, il espérait que le partage de position était voulu et calculé, que Cece l’attendrait dans cette ville prête à lui donner toutes les explications qu’il attendait. Intérieurement, il se demande combien de temps, il aurait encore dû attendre pour avoir de ses nouvelles si elle n’avait pas commis une erreur en partageant le lieu où elle se trouvait sur Snapchat. Malgré la déception, il répond à sa question « La carte Snapchat, tu as partagé ta localisation. ». Quelle ironie du sort, Felix a toujours trouvé les réseaux sociaux trop intrusifs et voilà qu’il se retrouve à les utiliser pour pister la jeune femme. Il n’en oublie pas pour autant la première partie de la question. « J’ai besoin d’explications, Cece ». Il en a besoin parce que tout va mal dans sa vie en ce moment, et qu’il ne peut pas continuer à passer ses nuits et ses journées à réexaminer tous les souvenirs qu’il a avec Cece pour comprendre comment est-ce qu’ils ont pu en arriver là.
« Cece ? C’est qui à la porte ? », une voix d’homme jaillit de la maison entraînant les pensées de Felix dans l’incompréhension la plus totale. Vraiment ? Un autre homme ? Il n’a jamais vraiment été du genre jaloux, il a toujours eu suffisamment confiance en Cecilia et en l’amour qu’ils se portaient. Même dans l’éventualité où elle rencontrerait quelqu’un d’autre, il avait toujours espéré que leur lien suffirait pour qu’elle lui en parle, pour qu’elle soit honnête avec lui. « Je vois que tu perds pas de temps … Quelqu’un devrait peut-être le prévenir que tu vas partir en courant à la première demande en mariage ». Le doux Felix perd pied et laisse un instant place à un Felix énervé et blessant. Il s’était pourtant promis de se montrer compréhensif et d’écouter ce qu’elle avait à lui dire, mais rien ne l’avait préparé à ce qu’un autre homme soit présent dans sa maison.
« Je crois qu’on a beaucoup de chose à se dire ». Elle semble prête à donner des explications. « Oui, en effet. » Et Felix ne peut s’empêcher de laisser son regard glisser sur la porte d’entrée, maintenant fermée, d’où la voix émanait lorsqu’il prononce ses mots. La simple présence de cette homme pourrait le faire partir, lui faire tourner le dos à tout jamais, mais il a besoin d’explications et ne partira pas sans la vérité. Il en a marre d’être ménagé avec des mensonges. « On commence par quoi, par la raison pour laquelle tu m’as abandonné à ton anniversaire, celle pour laquelle tu te retrouves dans cette ville, celle pour laquelle tu m’as laissé sans nouvelle pendant plus d’un mois ? Ou alors celle pour laquelle, il y a un autre homme dans ta maison ? ». Felix lui-même est choqué par le ton sec qu’il emploie. La balle est dans le camp de Cecilia, le jeune homme a déjà fait bien plus que sa part en venant la retrouver ici. Il la suit lorsqu’elle lui propose de s’installer sur le salon de jardin et espère enfin avoir des explications.